Célie Pauthe

Un projet d'artiste

Chers amis du Centre Dramatique, fidèles ou nouveaux venus,

Avant toute chose, je tiens à vous dire combien je suis heureuse et honorée d'avoir été choisie pour diriger cette très belle maison de théâtre qu'est le Centre Dramatique National de Besançon Franche-Comté, riche de quarante années d'engagement et d'aventures artistiques ambitieuses au service de la décentralisation. Je la connais depuis que nous y avions joué S'Agite et se pavane d'Ingmar Bergman en 2008. La qualité humaine et le professionnalisme de son équipe, la chaleur et la curiosité des spectateurs, ainsi que le très beau rapport scène-salle, m’avaient laissé des souvenirs vivaces. L'idée de vivre et de travailler dans cette région, dans cette ville et dans ce théâtre provoque en moi un grand appétit de rencontres et de créations, et j'ai hâte, en ce début septembre 2013, de me mettre au travail.

La saison qui s'ouvre va nous permettre de prendre le temps nécessaire pour faire connaissance, d'une part au cours de la saison qu'ont imaginée mes prédécesseurs et que je me réjouis de découvrir et d'accompagner ; et d'autre part, lorsque nous vous présenterons Yukonstyle, de Sarah Berthiaume, jeune auteure québécoise qu'il m'a semblé urgent de porter à la scène, tant les vies humaines qu'elle met en jeu sont denses, profondes et traversées, au plus intime d'elles-mêmes, par les déchirures et les élans propres à notre époque.

Prendre le temps également de rencontrer les artistes qui travaillent sur le territoire, les partenaires institutionnels, les autres structures culturelles de la région, les associations, les écoles et l'Université, tous ceux et celles qui considèrent la création comme un bien nécessaire et précieux. Alors que tant de barrières économiques, mais aussi symboliques, menacent notre communauté, c'est une nécessité impérieuse de s'ouvrir, de dialoguer, de fédérer nos forces, de créer, partout où faire se peut, du lien, de la circulation de pensée, du désir, de la « reliance », selon le beau concept d'Edgar Morin : « De la reliance, encore de la reliance, toujours de la reliance ! C’est cela qui donnera de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. »

Le projet que je souhaite mettre en œuvre pour le Centre Dramatique se fonde sur les principes de partage et d'hospitalité.

Partage artistique tout d'abord en défendant une politique de création audacieuse qui fera la part belle aux écritures contemporaines, aux œuvres rares de dramaturges du répertoire, aux jeunes ou moins jeunes artistes d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs, qui font le pari de s'engager sur le terrain de la recherche, expérimentent des formes nouvelles, inventent de la beauté, questionnent, bousculent, transgressent, projettent des possibles, ne se résignent pas devant la complexité du monde et nous donnent à entendre un autre récit de la société.

Avec ces artistes, nous inventerons différents modes d'accompagnement : Maud Hufnagel, jeune metteure en scène formée à l'Institut de la marionnette de Charleville-Mézières et créant des spectacles où se mêlent texte, inventivité plastique et techniques visuelles, sera associée au Centre Dramatique sur les quatre ans de mon mandat.

Chaque année le théâtre accueillera une nouvelle équipe en résidence. En 2014 / 2015, nous convierons Irène Bonnaud, metteure en scène (qui avait présenté au CDN la très belle pièce de Sean O'Casey, La Charrue et les étoiles), et Violaine Schwartz, auteure et comédienne (que vous avez pu entendre au Festival des Petites fugues), à nous rejoindre autour d'un projet commun. Ce sera l'occasion d'instaurer une première résidence d'écriture. C'est un axe auquel je tiens beaucoup, et que nous poursuivrons avec d'autres auteur(e)s.

Dès cette saison, nous souhaitons mettre en place des laboratoires de recherche et de création, en offrant à des équipes le temps dont notre art a tant besoin pour continuer à se régénérer et résister à la pression marchande.

Pour que cette effervescence puisse se déployer et devenir communicative, le centre dramatique dispose d'un bel atout, son bar donnant de plain-pied sur l'esplanade Jean-Luc Lagarce et le parc qui le jouxte. Nous allons étudier les possibilités pour qu'il puisse être ouvert au-delà des jours de représentations, et permette ainsi aux artistes et aux spectateurs de s'y rencontrer dans un cadre convivial. Nous vous convierons notamment, à partir du printemps prochain, à un nouveau rendez-vous : « Le Vin(gt) du mois » au cours duquel nous proposerons à un vigneron d'organiser une dégustation et à un artiste de présenter une forme courte.

Pour finir, mais en aucun cas conclure, je me risquerai à vous dire un mot de mon travail, de ce qui m'anime, et dont Yukonstyle témoigne à sa manière, comme un petit caillou blanc sur une route dont on ne connaît pas le chemin. Pour cela, sans doute faut-il avant tout parler des auteurs, et des acteurs. Heiner Müller, Thomas Bernhard, Ingmar Bergman, Eugène O'Neill, Nilo Cruz et Sarah Berthiaume ont été ces dernières années des compagnons de vie auprès de qui j'ai beaucoup appris. Ce qui me les rend chers, et même indispensables, c'est leur façon de raconter la vie et l'écriture comme un combat contre la mélancolie et la résignation, c'est l'espérance qu'ils engagent dans la nécessité de transmuer l'angoisse et la perte en humour ou en beauté. Porter haut cette pulsion de vie, en faisant avant tout confiance au travail de l'acteur, à la matière humaine de son art, au rendez-vous secret du jeu avec l'élan premier d'une écriture, tel est le sens de la recherche que je souhaite poursuivre et partager avec vous au cours de ces prochaines années.

Au plaisir de vous retrouver jeudi 12 septembre prochain pour échanger et découvrir la nouvelle saison du centre dramatique.

Célie Pauthe